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9 mars 2015 1 09 /03 /mars /2015 18:36
La Gaieté

Jeudi j’ai reçu un mail, un mail qui a eu un effet improbable.

C’est surtout une petite phrase anodine écrite à la fin du mail, une phrase de rien du tout, écrite par automatisme par quelqu’un qui s’en fout, qui est à l’origine du malaise passager que j’ai ressenti.

Une fois de plus j’ai eu l’impression de ne pas être au bon endroit, de ne pas être à la place où j’aurais aimé être. Une fois de plus j’ai eu envie de tout envoyer valser, de faire autre chose, de ne pas continuer.

« J’espère que toi ta vie va bien, que tu es heureuse. »

J’ai lu cette phrase, l’ai relue, puis me suis arrêtée, comme bloquée. Je le sais pourtant qu’il ne faut pas, que c’est mauvais de prendre du recul, qu’il faut rester la tête dans le guidon, que c’est important car sinon tout se met à tourner autour de moi, que dans ces cas là, j’ai le vertige suivi d’une incontrôlable envie de pleurer.

Comme une idiote, au lieu de répondre sans réfléchir, Oui tout va bien merci, j’ai pris le temps. Je marchais dans la rue quand j’ai lu ce mail, il y avait du soleil, j’allais acheter un cadeau pour une amie, je n’avais pas vraiment d’idée et je ne savais pas trop où aller.

Cette phrase profondément sympathique venait conclure un message heureux, rempli de belles histoires, de choses réjouissantes, un message vraiment joyeux qui fait chaud au cœur. A la lecture de toutes ces bonnes nouvelles, moi aussi j’ai été heureuse, évidemment, c’est bien naturel de se réjouir du bonheur des gens qu’on aime. Mais je dois avouer que très vite l’euphorie empathique est retombée, comme ça, d’un coup, à cause de cette satanée phrase.

« Heureuse » ? Je ne sais pas en fait. Qu’est ce que ça veut dire « être heureux » ? J’ai tout de suite pensé à La Gaieté, le dernier roman de Justine Lévy, que je suis en train de lire. Elle écrit : « ça ne veut rien dire être heureux, est-ce qu’on a déjà vu quelqu’un être heureux plus d’un quart d’heure ? » Pour contrer cela elle propose « la gaieté qu’on décide, la gaieté comme une résolution ». Une solution.

Et puis au fond, ce mail, il m’a aussi renvoyée à mon quotidien, à ma propre vie. C’est un peu comme si on m’avait interrogée, comme si on m’avait demandé Et toi, t’en es où ? Tu fais quoi de réjouissant en ce moment ?

C'est dans ce contexte là que le ciel s’est assombri. Je n’avais plus du tout envie de chercher un cadeau, ni d’entrer dans les magasins. Cette quête m’est devenue impossible, j’avais presque honte de perdre mon temps avec des préoccupations aussi futiles.

Et puis j’ai déjeuné au soleil avec l’amie en question. C’était son anniversaire, je n’avais pas de cadeau, je lui en ai rapidement expliqué la raison. Nous avons parlé longuement, des hauts, des bas, des difficultés rencontrées par chacun à des moments donnés, des bricolages que nous faisions sans cesse pour nous rendre la vie plus belle. J’ai repensé à la gaieté, tout ça.

Juste à côté, il y avait une fille moche et à claquer qui se trouvait sans doute très belle, une actrice insupportable qui parlait trop fort, qui voulait absolument qu’on la regarde et qu’on entende ce qu’elle disait. J’ai fini par tourner la tête, agacée, je l’ai foudroyée du regard, un regard qui voulait dire un peu de silence nous ferait beaucoup de bien, merci. Je n’avais jamais vu son visage nulle part mais dans son discours, on aurait pu croire qu’elle était aussi célèbre que Catherine Deneuve. Elle parlait vite, balisait son discours de mots-clés sur lesquels elle insistait tout spécialement, « agent », « tournage », « New-York », « projo », ça partait dans tous les sens, il a même été question de Chiara Mastroianni « qui ne faisait pas grand chose de bien depuis un certain temps ». Elle était insupportable, vraiment. En face d’elle un pauvre type buvait ses paroles, acquiesçait à tout ce qu’elle avançait, semblait d’accord avec la plupart des conneries débitées, semblait charmé par ses yeux globuleux, ses minauderies, ses péripéties.

Et au milieu de tout ça, mon amie m’a parlé de choses qui n’allait pas très bien dans sa vie. Ses soucis semblaient plus délicats à gérer que les miens, son bonheur semblait précaire, vraiment.

Alors pour répondre simplement à la question de départ, je dirais que oui, ma vie va bien, que je ne sais pas si je suis heureuse, que mon bonheur est perfectible et que j’y travaille d’arrache-pied.

Je suis rentrée et je me suis plantée devant mon ordinateur. Il fallait que je finisse ce que j’avais entamé, en urgence. Le printemps arrive, il faut se dépêcher. Il faudrait que je reste installée là au moins jusqu’à ce que la nuit tombe, ce serait bien, les jours ont rallongé. Je m’en suis aperçue hier soir, en allant au parc avec mon fils après la crèche. Il jubilait : « On va au parc ? Ce n’est pas fermé ? - Non ce n’est pas fermé mon cœur, nous sommes au mois de mars, et le parc ferme maintenant à 19H. » Il ne sait pas ce que 19h signifie, il est encore tout petit. Et si grand pourtant.

Je voudrais rester là et travailler, ne plus bouger, avancer, produire, avoir du résultat quantifiable, des pages et des pages. Mais j’entends déjà le tout petit qui dormait se réveiller. Il va falloir le changer, il va vouloir manger, je ne lui ai rien préparé. Je vais finalement être obligée d'arrêter et de remettre mon travail à plus tard. Comme toujours en fait. Je remets trop de choses à plus tard, rien n’avance comme je le souhaite et quand je regarde les autres, ceux qui travaillent comme des fous, je leur en veux d’être si productifs, d’arriver à faire autant.

Il m’appelle encore plus fort. Je dois y aller. Dès que j’aurai fermé ce fichier, dès que je plongerai mon regard dans le sien, que je le couvrirai de baisers, qu’il posera sa petite main sur ma joue, ça ira mieux.

Jusqu’à la prochaine fois.

Peut-on vivre comme ça ? Avec des envies non assouvies, des projets qui ne se concrétisent jamais ?

Je ne sais pas.

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Avant-propos

"C’est fou, le pouvoir de diversion d’un homme que son travail ennuie, intimide ou embarrasse : travaillant à la campagne (à quoi? à me relire, hélas!), voici la liste des diversions que je suscite toutes les cinq minutes: vaporiser une mouche, me couper les ongles, manger une prune, aller pisser, vérifier si l’eau du robinet est toujours boueuse (il y a eu une panne d’eau aujourd’hui), aller chez le pharmacien, descendre au jardin voir combien de brugnons ont mûri sur l’arbre, regarder le journal de radio, bricoler un dispositif pour tenir mes paperolles, etc. : je drague.

(La drague relève de cette passion que Fourier appelait la Variante, l’Alternante, la Papillonne.)"

Roland Barthes par Roland Barthes

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