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20 novembre 2011 7 20 /11 /novembre /2011 12:30

image-preview-22-polaLa réponse n’avait pas tardé, il s’était même précipité, le message avait été reçu à 4h30 du matin, autant dire en pleine nuit. J'étais navrée de l'avoir raté. Abandonnée à des insomnies particulièrement virulentes, j'avais moi aussi passé une bonne partie de la nuit à gamberger derrière mon écran.

Apprendre maintenant seulement que nous avions passé un moment ensemble éveillés l'un à cause de l'autre derrières nos écrans respectifs, m'imaginer que nous aurions pu converser, et admettre que j’avais, par déveine, laissé passer cette opportunité me rendaient folle : énervée, agacée, pour ne pas dire déçue, mais aussi curieuse et surexitée, je cliquai sur le message.

Il répondait, mais sa réponse était laconique, l’homme élégant se montrait plus coriace que prévu.

Bonjour Rose,

J’ai pris ce train pendant quelques mois chaque lundi pour des raisons professionnelles, et à son tour il me posait la question, et vous, que faisiez-vous là?

A très vite.

J’ai trouvé que cet homme avait bien peu d’imagination. Il m’agaçait un peu. J’ai décidé de ne pas minauder autant que lui, d’y aller vraiment, de répondre en détails à sa question, et sur le champ.

Je lui ai dit que j’écrivais des histoires, des histoires pour enfants. Je lui ai expliqué qu’il me semblait que la littérature de jeunesse touchait à l’essentiel, que quel que soit le poids du sujet évoqué, elle devait rester légère et profonde à la fois.

Les regards enfantins exacerbent les douleurs, ils observent le monde avec un détachement et une naïveté qui sont souvent trompeurs. Quand les plus jeunes souffrent, le livre doit apaiser leur peine, quand ils se posent des questions, le livre doit les prendre par la main et les aider à avancer. Contrairement à l’adulte qui est capable d’endurer un supplice en lisant, de souffrir, de passer un moment désagréable, douloureux, l’enfant ne doit pas être malmené trop longtemps, il supporte d’être brusqué mais sur une courte durée.

Je lui ai aussi expliqué que pour écrire je ressentais le besoin de m’arracher à mon quotidien, de m’extraire de ses tâches oppressantes, que je devais aussi m’imposer un rythme de travail, et pour ce faire, partir et revenir. J’avais aussi remarqué, il y a longtemps, que le train était un endroit propice à l’écriture, comme les cafés, sous certaines conditions.

Alors chaque lundi matin,  depuis quelques mois, je prenais le train pour Metz, j’allais m’installer au Café des arts où je travaillais jusqu’à ce que la faim me surprenne. Ensuite je rejoignais la Brasserie du Luxembourg, dans laquelle je déjeunais, avant de me rendre au Rubis, au autre café dans lequel je terminais ma journée d’écriture. Puis le soir venait, je retournais à la gare et rentrais à Paris, et après avoir relu, finalisé, léché les quelques pages rédigées dans la journée, je lisais. Grâce à ce petit manège, à cet arrangement avec la réalité, quand je passais le pas de la porte de mon appartement, je ressentais à chaque fois l’immense satisfaction du devoir accompli.

Mes semaines étaient rythmées par ces allers-retours hebdomadaires, et aucune autre journée n’était aussi productive que celle du lundi.

J’avais  d’abord choisi Metz par hasard, mais comme les conditions matérielles concordaient avec mon projet, je n’avais pas jugé bon de tenter une autre destination. Le lieu m’importait peu, je n’avais d’ailleurs pas vraiment visité la ville, me contentant de sélectionner des cafés calmes et confortables, des endroits où on me laissait travailler en paix et qui étaient silencieux. Le train était toujours à moitié vide, ce qui était crucial, je ne supportais en aucun cas qu’un voisin ne vienne perturber ma tranquilité. Enfin la distance était bonne, 1h23 pour me mettre dans le bain, 1h23 pour m'en extraire, une durée de trajet idéale.

Je lui racontais tout cela, en détails, comme pour donner du corps à notre relation, pour lui permettre de se déployer enfin et d’exister réellement. Pour que nos échanges ne reposent plus sur rien, et ne restent pas vides éternellement. Je finissais par une conclusion interrogative abrupte mais qui était devenue fondamentale :

Qui êtes-vous ? Comment vous appelez-vous ?

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Avant-propos

"C’est fou, le pouvoir de diversion d’un homme que son travail ennuie, intimide ou embarrasse : travaillant à la campagne (à quoi? à me relire, hélas!), voici la liste des diversions que je suscite toutes les cinq minutes: vaporiser une mouche, me couper les ongles, manger une prune, aller pisser, vérifier si l’eau du robinet est toujours boueuse (il y a eu une panne d’eau aujourd’hui), aller chez le pharmacien, descendre au jardin voir combien de brugnons ont mûri sur l’arbre, regarder le journal de radio, bricoler un dispositif pour tenir mes paperolles, etc. : je drague.

(La drague relève de cette passion que Fourier appelait la Variante, l’Alternante, la Papillonne.)"

Roland Barthes par Roland Barthes

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